M. Caillat: L’Entente internationale anticommuniste de Théodore Aubert

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Titel
L’Entente internationale anticommuniste de Théodore Aubert. Organisation interne, réseaux et action d’une internationale antimarxiste 1924–1950


Autor(en)
Caillat, Michel
Erschienen
Lausanne 2016: Société d’histoire de la Suisse romande
Anzahl Seiten
782 S.
von
Olivier Meuwly

La Révolution soviétique éclatait voici cent ans, en 1917, année charnière de cette Première Guerre mondiale qui broyait l’Europe. Quand débute le conflit, tous jurent de conclure l’affaire à Noël… Offensive après offensive, sur le front occidental, à la frontière austro-russe, en Orient, chaque camp affirme sa conviction d’user sans rémission son adversaire, sans s’apercevoir qu’il dilapide ses propres forces. L’année 1916 devait être décisive. On sait ce qu’il advint à Verdun, sur la Somme, de l’opération commandée par Broussilov, ou de la énième attaque menée sur l’Isonzo. En 1917, la révolte gronde, les grèves se multiplient, les «unions sacrées» se fissurent tandis que les Américains s’apprêtent à entrer en guerre. L’échec aussi pitoyable que prévisible du Chemin-des-Dames sème la colère dans des bataillons épuisés. Les mutineries seront nombreuses. Par lassitude? Ou parce que seule l’Internationale peut encore réveiller les ardeurs? Car à l’est se lève un vent de Révolution, qui aspire les énergies populaires en promettant la paix immédiate. En octobre, Lénine a pris le pouvoir.

Mais à l’espoir qu’embrase l’illusion communiste répond l’horreur du désordre qui s’empare des milieux bourgeois. La Suisse, neutre, mais en proie bientôt à de graves disettes, assiste au désastre dans lequel sombre le continent. C’est dans notre pays que la panique devant l’hydre communiste connaît l’une de ses expressions les plus actives. En 1923 est assassiné à Lausanne, à l’occasion d’une conférence internationale, le diplomate russe Vorovsky. Le coupable, Maurice Conradi, est acquitté. Les relations entre la Suisse et l’URSS en pâtiront longtemps. Le défenseur d’un de ses acolytes est l’avocat genevois Théodore Aubert. Avec le médecin d’origine russe Georges Lodygensky, il lance une violente diatribe contre le danger que le communisme représente pour la morale publique et l’ordre bourgeois. L’année suivante est fondée l’Entente internationale anticommuniste à Paris. Mais c’est Genève qui abrite l’épicentre de son combat. Issu de la bourgeoisie de la Cité de Calvin, Aubert entraîne de nombreux conservateurs dans son mouvement, qui se donnent pour mission de proclamer au monde civilisé la nocivité des idées qui macèrent du côté de Moscou, et que le Komintern diffuse à travers ses relais recrutés dans les démocraties occidentales.

Pour contrer l’ambition des bolchéviques, selon Aubert, une seule parade est possible: une action elle aussi internationale et à large échelle, copiée de celle qui régit le Komintern. Aubert prend son bâton de pèlerin et récolte de nombreux appuis en France, en Angleterre, en Allemagne un temps, qui le soutiennent. Dépistant la main de Moscou derrière tous les événements qui scandent l’entre-deux-guerres, il fait feu de tout bois, publie à tour de bras, même s’il se montre souvent peu habile dans le choix de ses partenaires. Mais son audience s’agrandit, Franco avouera avoir adossé son anticommunisme aux écrits de l’Entente. L’histoire de la Ligue Aubert, comme on l’appellera aussi, n’était pas inconnue mais ses archives n’avaient jamais été exploitées systématiquement. C’est l’immense mérite de Michel Caillat de nous présenter enfin un récit complet et détaillé de l’aventure de ce mouvement, en montrant au lecteur les innombrables ambiguïtés qui l’entourent et qui finiront, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale gagnée avec l’aide de Staline, par le discréditer. Son volumineux ouvrage suit presque année après année Aubert et Lodygensky dans la construction du vaste réseau qu’ils mettent sur pied pour mieux prêcher leurs thèses. Ils vont même réussir à embrigader le Journal de Genève dans leur croisade. Caillat montre aussi fort bien l’impasse dans laquelle Aubert et ses compagnons se sont fourvoyés. En ne saisissant l’évolution politique qu’à travers l’unique grille de lecture que leur offre leur anticommunisme viscéral et obsessionnel, ils glisseront inexorablement vers un appui de moins en moins discret aux régimes fasciste et nazi. Un glissement amorcé par la coopération éphémère avec Jean-Marie Musy, qui entame alors sa dérive vers une complicité avérée avec l’ordre nouveau incarné par le IIIe Reich.

Le titanesque et passionnant travail de Michel Caillat soulève cependant une question récurrente, qu’il n’esquive d’ailleurs pas: quelle fut l’influence réelle de l’Entente? L’anticommunisme n’a pas eu besoin des efforts d’Aubert pour s’imposer: les partis bourgeois ont su dresser des digues face à la menace communiste notamment en se rapprochant, lentement il est vrai, du parti socialiste, une démarche que le Genevois fut incapable de comprendre. Pour lui, la gauche était forcément manipulée depuis le Kremlin. Il n’empêche, et l’auteur insiste à raison sur ce point : l’écho recueilli par Aubert et ses sbires fut loin d’être négligeable grâce aux liens nombreux qu’il avait tissés avec des nombreux cercles dirigeants en Suisse, mais aussi, parfois, à l’étranger. De même, si l’Entente eut un visage public, elle mena aussi des actions concrètes, qui débou chèrent sur le refus de demandes de naturalisation. Mais peut-être eût-il été intéressant de davantage situer la Ligue dans le climat anticommuniste global. Un regret néanmoins. Autant l’analyse de l’action de l’Entente est pertinente, autant la propension de l’auteur à relativiser le péril réel représenté par les partis communistes est ternie par un regard rétrospectif qui peut ne pas coïncider avec la perception que l’on pouvait avoir à l’époque. Il est clair qu’Aubert a trébuché sur une forme de paranoïa aveuglante. Mais les «légendes» sur l’omnipotence présumée du communisme international auraient mérité d’être discutées. Le livre de Michel Caillat n’en reste pas moins un livre fondamental.

Zitierweise:
Olivier Meuwly: Michel CAILLAT: L’Entente internationale anticommuniste de Théodore Aubert. Organisation interne, réseaux et action d’une internationale antimarxiste 1924-1950, Lausanne: Société d’Histoire de la Suisse romande, 2016. Zuerst erschienen in: Revue historique vaudoise, tome 125, 2017, p. 274-275.

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Zuerst veröffentlicht in

Revue historique vaudoise, tome 125, 2017, p. 274-275.

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